Au Nozaru Hostel
Arrivés au port de Niigata, nous rejoignons Nagano dans la journée et arrivons le soir à Yamanuchi, petite ville accrochée sur un pan des Alpes japonaises. Elle compte plusieurs zones très touristiques dont Shibu-Onsen, le quartier thermal historique, très prisé pour ses bains publics alimentés par des sources chaudes naturelles. C'est là que se trouve l'hôtel Nozaru, où nous allons travailler pendant trois semaines.
C'est plus exactement un ryôkan, une grande auberge traditionnelle japonaise. Quartier thermal oblige, elle comprend des onsen, thermes japonais à l'eau naturellement chauffée par les volcans.
En échange de notre travail, nous sommes donc en pension complète: jolie chambre à tatami, repas et onsen quotidiens gratuits !!
Les onsens, salle de bain collective japanese style, avec baignoires intérieure et extérieure.
Je vois tout de suite vos grands yeux s'écarquiller d'émerveillement et vos lèvres laisser échapper un « la chaaaaance » mais ne vous y trompez, tout ceci a un coût… Qui dit onsen dit nettoyage quotidien de onsen ; qui dit grand ryôkan dit grand nombre de chambres à entretenir, et qui dit Japon dit Japonais !
Travail, travail
Le travail au Nozaru hostel est physiquement fatigant et mentalement épuisant. Les quatre étages couplés à l'absence d'ascenseur ajoutent encore à la tâche. Mais le plus harassant est l'absence totale d'organisation et de logique dans le travail. Anna, la gérante, règne en maître incontestable sur son ryôkan et ne tient compte d'aucune suggestion, remarque ou critique. A part elle, il n'y a aucun employé, l’hôtel tourne entièrement grâce au travail des volontaires. Les premiers jours, nos réflexes d'humain ayant un cerveau se confrontent rudement à ses façons de faire quelques peu despotiques. Car oui, ce serait sûrement plus efficace de compter le nombre de chaises dans les chambres en même temps qu'on vérifie le nombre de couvertures, mais non, ça doit être fait l'un après l'autre et deux fois de suite par deux personnes différentes (au cas où l'un ne sais pas compter peut-être) ; oui, ce serait certainement plus propre de rincer les onsen avec de l'eau après les avoir brossés mais non, il faut pousser les saletés avec la brosse, UNIQUEMENT avec la brosse (sinon gare à toi) ; et ce serait tellement plus simple si elle allait jeter elle-même ce déchet à la poubelle mais non, elle préfère passer dix minutes à décrire l'emplacement de la poubelle appropriée et passer vérifier derrière si on ne s'est pas trompé de conteneur.
Après quelques jours d'arrachage de cheveux et de malédictions proférées tout bas, nous comprenons que la meilleure solution pour survivre à Nozaru reste d'accepter et de suivre le rythme d'Anna, sans se poser de questions. C'est ainsi que des générations de helpxer se sont succédées sans démissionner au bout de deux jours. Ne pouvant toutefois totalement renier le cerveau qui est en nous, nous jugeons bon d'adapter quelques peu les ordres reçus, de manière à les rendre plus supportables. Par exemple, « peux-tu passer l'aspirateur dans tous les escaliers » doit se comprendre « mieux vaut ça que les onsen, je vais faire chaque marche deux fois et très lentem… consciencieusement » ; « peux-tu nettoyer toutes les chambres du quatrième étage » peut s'interpréter comme « change les draps vite fait puis cache-toi aussi longtemps que possible sans que ça ait l'air suspect. » ou bien encore « peux-tu organiser un peu cette pièce (traduire : j'ai trop peur que ces immenses piles de bazar s'effondre sur moi, s'il te plaît fais-le à ma place) peut se comprendre comme « une fois que c'est fait, tu peux glander discrètement sur ton ordi portable – en omettant point de poser un piège sonore qui t'avertira de l'arrivée d'Anna, pour ne pas te laisser surprendre et faire semblant d'avoir tout juste fini ». Vous voyez l'idée ? Oh, je vous rassure, tous les volontaires ont adopté ces techniques, on se les échangeait entre nous et parfois même, on glandait en groupe! :p
Nettoyage d'une chambre, avant / après : propre juste comme il faut.
Le plus perturbant est qu'elle devient, une fois sortie de son bureau, une personne adorable, souriante et arrangeante. Aux repas, nous partageons de bons moment, au travail, elle est insupportable.
La team Nozaru
Nous aurions pris nos jambes à notre cou si l'équipe (team en anglais) n'avait pas été si extraordinaire. Elle s’élargit presque chaque jours si bien que nous sommes près de 12 volontaires permanents en moyenne. La pression psychologique rend le groupe extrêmement soudé et déjanté.
De gauche à droite, Yannick, David (Hollandais), Tom (British), Olly (British) et Maria (sa compagne Espagnole), Bénédicte (Frenchy), Camille, Sui (adorable américaine qui travaille régulièrement à Nozaru depuis deux ans), Sara (Slovène) et Shaun (Autralien). Il manque encore des membres mais on n'arrive jamais à avoir tout le monde en même temps !
Le 25 avril, je célèbre mon quart de siècle au pays du soleil levant, entourée de la bande de copains de l'hôtel. Sui a préparé de délicieux cœurs coulants au chocolat, David a dégoté une liqueur de prune (umeshu) et Anna nous offre un onsen privé avec ma tendre moitié ; que du bonheur, merci la vie :D
La bande, de gauche à droite David, Stephano (Italien), Maria, Alik (Américain), Olly, Sui, Yannnick et moi, accompagnée des délicieux fondants au chocolat de Sui ; les onsen rien que pour nous.
Golden week et vue du toit
La première semaine de mai est au Japon une semaine de vacances appelée « golden week » (la semaine dorée), synonyme d'une affluence touristique décuplée pour tous les hôtels de la région. Cependant, nous sommes à présent 15 volontaires, de quoi ne pas trop se stresser.
Comme il fait beau et que nous sommes nombreux, la nouvelle idée d'Anna est de faire repeindre le toit à une partie de l'équipe. Après l'avoir décapé au papier de verre, cela va de soit. La « roof team » (équipe toit) se voit donc rôtir une semaine durant, armée d'abord de petites brosses en métal et de papier à poncer puis de rouleaux à peinture.
C'est tout de même plus sympa que d'être enfermé dans les étages toute la journée et on profite d'une jolie vue sur les alentours.
Nozaru fou, fou, fou
Le jour de l'anniversaire de Maria, quatre jours après le mien, marque le début d'une longue série de soirées fous rire et n'importe quoi.
Ce jour-là, j'ai passé la journée à déblayer une salle vétuste et poussiéreuse, où nous, braves volontaires, allons être relégués faute d'espace pour les clients. Anna attend de moi que je dégage suffisamment de place pour nous faire tous tenir dans la pièce et que j'ordonne chaque bazar par catégorie (son lit-motive). A la fin de la journée, de belles piles de futons et couvertures classées par couleur et texture trônes fièrement tout au fond de la pièce par ailleurs parfaitement dégagée et balayée.
Pour nous aérer, notre bande de volontaires va boire une bière à la (seule) brasserie du coin et visiter le musée du saké, qui offre des dégustations gratuites. Notez que le capitalisme a parfois du bon et que la notion de dégustation gratuite au Japon consiste en la procédure suivante : une longue file de bouteilles de saké sont disposées sur la table à côté d'une pile de verre et l'on se sert soi-même...ce qu'on veut, autant qu'on veut sans personne pour même jeter un coup d’œil à ce qu'on fait ! Autant dire que nous prenons tous soin de goûter à chaque liqueur au moins une fois.
Vous devinez l'effet de la dégustation sur nos petits organismes à jeûn et fatigués et comprendrez aisément que, de retour à Nozaru, mon œuvre d’empilage se transforme en terrain de jeu pour helxpers surmenés.
Le dîner d'anniversaire de Maria nous remet d'aplomb : shabu-shabu (fondue japonaise) et cheese cake au matcha pour tout le monde !
L
e soir, nous découvrons le lieu qui sera désormais note repaire préféré : l'ancien bar de l'hôtel, abandonné depuis des années, transformé en salle de stockage des poubelles par Anna puis nettoyé et rangé par Sui dans le plus grand secret.
Il deviendra tour à tour salle de cinéma, karaoké, salle fumeurs ou véritable QG du staff.
Yannick et David y réparent l'électricité et les bouteilles de gin aromatisées vieilles d'au moins trente ans égayent les soirées.
Après près de trois semaines passées à Nozaru, Yannick et moi avons finalement trouvé une ferme à Nagano qui peut nous accueillir début mai. Nous quittons donc l'hôtel le 5 mai, heureux d'être débarrassé de ce travail de fou mais la larme à l’œil en disant au revoir aux copains. Les adieux sont difficiles mais ces rencontres éphémères font toutes la beauté du voyage et on se dit plutôt à bientôt qu'adieu.
Et nous voilà partis en stop vers Nagano, aventure à lire sous peu !